Ma carence en boule de cristal n'a d'égal qu'un présentiment gratuit et bancal. Celui que mélangent le doute et l'empressement de voir les années du mignon s'écrouler. C'etait il y'a plus de dix ans, le 2.0 arrivait sur la toile avec son lot de promesses. Tout le monde pouvait poster quelque chose, sur une plateforme, un site de partages, qu'ils s'appelent MySpace ou Youtube. Tout le monde, en musique pop, avait soudain l'accès au podium pour montrer son machin et effectuer le local et l'universel simultanément, la catharsis au même moment que la contagion populaire, le sens au même moment que l'improbable, le subversif au même moment que l'adhésion de masse. Ca y'est, on y avait droit. La Pop, cette musique ambigue, cet espace de 3 minutes à la profondeur émotionnelle aussi fulgurante que son fétichisme plastoc, son innovation délirante flirtant en permanance avec les standars et l'héritage, son écran rassurant où cohabitent le mauvais goût et la classe, cette musique donc, sous genre de sous cultures que nous aimons tant pour toutes ses contradictions, avait trouvé chaussure à son pied avec le haut débit d'internet, un média loterie capable de tisser un lien direct entre notre chambre et celles des autres. Manque de pot, il y'eut une immense drague électronique imprévue: les gens voulaient du clic. Tout le monde ne jurait plus que par ce clic. Le public voulait du clic comme garantie de qualité. Si mes amis aiment, alors j'aime. Les producteurs voulaient du clic. Si tous ces gens aiment, alors on va leur vendre des choses. Les musiciens voulaient du clic. Si j'ai des clics, j'ai du pouvoir sur les producteurs et le public. Les plateformes aussi voulaient du clic. Si les musiciens croient à leur pouvoir, les producteurs à leurs recettes et le public à un guide, alors on va vendre trois fois plus de données récupérés grâce à ces clics à plein d'organismes dont les statistiques sont le nouveau pétrole. Pas de bol, les gagnants furent bel et bien les vendeurs de données. Pendant ce temps là les musiciens ont cru aux miracles. Et pour ces clics miraculeux ils ont fait un choix difficile: arrondir les angles. On a donc eu droit à l'age du mignon. La musique pop est devenue mignone. Un peu dansante, un peu chantante, un peu fédératrice, un peu sympa, un peu décalée, un peu authentique. Elle est devenue Un Peu. Ce terme de Un Peu est arrivé, avec le flot de lexique chiasse molle tels "Déjanté", "tight", "frais", "cute", "catchy", "touchy", "décalé", qui ont amené l'age du mignon à son apogée. Des tonnes de groupes prétendaient en choeur qu'ils chantaient en anglais car c'ètait leur culture et qu'ils aimaient la musique anglophone. Les mêmes aujourd'hui chantent en français car, disent ils, la chanson française a toujours été leur priorité. N'allez pas imaginer que la mode ait pu changer. Car en effet, à une langue près et quelques effets de guitares chorus près, nous ne sommes pas sortis de l'age du mignon. On lève des fonds par ci par là pour demander de "soutenir des projets", on est heureux d'aller jouer dans une ville alors on le manifeste par une fellation numérique la veille du concert, puis le jour du concert, puis le lendemain du concert, flanqués à chaque coup d'un selfie ne racontant rien photographiquement parlant mais qui permet de rester sympa. Au final poster une photo sur facebook rapporte 15% de viralité en plus qu'un simple texte mais personne ne le dira. Le musicien est pur, il ne calcule jamais ce genre de choses.
Je n'ai pas de boule de cristal, mais je prédis que cette époque du mignon doit s'arrêter là. Je ne dis pas que les musiciens pop doivent vomir partout et devenir des débiles impolis, mais je pense tout de même que le subversif doit revenir à grands pas. De la même façon je ne donne de leçon à personne. D'ailleurs il se peut que j'eus plongé parfois, à la fin des années 2000 dans cette boue numérique, persuadé que la pop n'a de sens que si elle est entendue. Dans mon cas, être écouté est moins important qu'être entendu. Mais c'est une erreur. Nous n'avons pas à nous excuser de quoi que ce soit. Nous avons cherché à donner des clefs aux moins cultivés, par le biais de refrains accrocheurs, de langues internationales, de fréquences confortables et de grosses caisses dansantes. Nous avions peur d'être laissés de coté si par malheur le quidam percevait un gramme ou deux de ce qu'il appelle avec dêgout le snobisme et que je me plais à nommer la culture. Nous avons cru que les radios nous donneraient une grille de passage si nous prenions le temps d'élargir nos stréréophonies. Nous avons cru que peut être une pub synchroniserait notre musique, ouvrant miraculeusement les portes de maisons mères prètes enfin à écouter ce qu'elles appelent nos caprices d'artistes et que j'appelle des ambitions créatrices. Nous avons cru que les concepts pourraient rendre curieux les gens. Mais le fait est que les temps ont changé. Les gens n'aiment plus les musiciens , qu'ils trouvent racoleurs et privilégiés. Les fafs reviennent au galop et alors même qu'on s'inquiète pour la culture je crois soudain qu'au contraire nous avons besoin d'elle d'autant plus. A condition qu'on arrête au plus vite l'âge du mignon pour faire revenir la musique pop dans ce qu'elle propose de mieux: un véhicule attrayant et subversif à la fois, avec un propos radical et une érudition maximum. Que le divertissement flirte avec le concept sans s'excuser. Que le panache remplace la justification. Que l'ethnologie remplace l'exostisme, que la sincérité remplace l'authentique, que le juste remplace le beau, que l'ironie remplace le rigolo, que la densité rythmique remplace le kick, que le timbre pointu remplace le son et que le slogan émotionnel remplace la rangaine racoleuse. Alors nous entendrons de la nouvelle pop qui n'aura plus besoin du mirage 2.0. Car elle tranchera comme elle seule sait le faire dans un nouvel écosystème musical privée d'abondance inutile. Ce nouvel espace est disponible. La nouvelle pop, je pense, y fera son nid. Le nouveau podium, c'est l'ombre.