Je vois beaucoup de mes camarades du spectacle choqués que nous soyons, avec les cafetiers, les restaurateurs et quelques autres, les oubliés de 2020, lorsque peuvent rouvrir les trains surbondés et les lieux de cultes. Je comprends cette détresse et la ressens tout autant depuis le mois de mars 2020.
Je vois aussi beaucoup de compagnons issus des musiques enregistrées se sentir dépendants d’une autre frange de la culture, et ainsi angoissés de ne pas trouver de place pour y faire exister une économie.
En résumé je comprends le monde de la culture dans son entièreté, parce que l’année 2020 a montré que les sacrifiés seraient les métiers dépendants de l’affluence d’un public, d’une part, et dépendants de leur poids financier, d’autre part. Et même si tout le monde s’en doutait, nous l’avons pris en plein visage car cette information est désormais officielle et assumée: nous ne sommes pas essentiels.
Pourtant je pense l’inverse: la Culture est essentielle.
Aussi je reste persuadé, et même si j’ai autant peur de l’avenir que mes camarades, que la solution n’est pas uniquement d’aller hurler auprès d’un gouvernement sourd. Bien sûr nous allons devoir montrer que nous existons, et je suis d’accord pour aller manifester. Cela dit je crois qu’il est surtout temps d’apprendre de nos erreurs. Depuis mille ans nous nous sommes laissés insulter en acceptant l’idée de la bohème, parce qu’on nous avait dit qu’il en était ainsi. Depuis mille ans on nous sert que nous sommes inutiles, alors nous faisons l’aumône auprès de quelques mécènes institutionnels par peur de tomber dans la précarité, qu’ils s’appellent rois, cardinaux, producteurs ou agences de pubs. Nous cherchons les économies de service, puis les fonds privés, puis les pourboires du contribuable. Nous acceptons que l’on nous dise « mais tu arrives à vivre de CE métier? » ou encore « tu as cédé au commercial » ou l’opposé « vous les ayatollahs de l’underground » ou bien « ce n’est pas un métier c’est une passion ». Le lexique sort de la religion, ou de l’économie libérale, ou du divertissement qui ne cesse de se moquer de nous, ou de l’économie communiste qui a besoin de nous comme portes paroles, ou d’un peuple fragilisé, ou d’un monarque de circonstance. Jamais nous n’avons eu notre propre lexique car jamais nous n’avons su devenir autonomes pour de bon. Oui, autonomes de l’Etat, du commerce, des églises, selon les époques. Nous avons besoin de temps et cette toute petite exigence nous paraît capricieuse alors nous nous cachons. Les chercheurs scientifiques ont pourtant la même hygiène de vie. Ils veulent du temps. Nous cherchons un écho populaire alors nous nous blâmons d’égocentriques quand les hommes politiques osent la même impudeur tout en restant dignes.
A long terme, toutes les activités créatrices, à mon avis, doivent s’observer dans la plus grande dignité, puis s’unir en une seule, puis apprendre à consolider leur artisanat comme savent le faire les métiers les plus nobles, les plus vieux et les plus solides. Une fois les méthodologies revisitées, les activités créatrices, que d’autres appelent la Culture, devront se battre avec les mêmes armes que les autres économies de métiers. Car nous serons structurés. Nous cesserons de considérer nos partenaires comme des patrons. Ce seront nos clients, ou parfois nos collaborateurs. Ils ne seront pas nos ouvriers car ils possèderont leurs outils, ce qui en fera des artisants. Il nous faudra être pédagogues pour que tout le monde comprenne bien que, oui, la Culture est essentielle. Ce jour là nous n’aurons plus besoin de nous chercher une economie d’adoption, car ce jour là nous aurons la nôtre.
Oui j’irai manifester pour que la Culture soit respectée. En parallèle je souhaite que nous travaillions à devenir aussi puissants que d’autres économies pour qu’enfin le fait que nous soyons essentiels ou non devienne un non sujet.
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