vendredi, décembre 20, 2019

Les masques Craignos et autres


Vers 2006, et ce blog en témoigne, nous avions pour habitude, avec mon ami Youssef Abado, de fabriquer des groupes sur mesure. Cette coutume venait d’un souci de disponibilité des musiciens avec qui nous jouions et d’un contexte de programmation qui nous obligeait à une rapidité de réponse face aux programmateurs de concerts. Nous recevions des demandes, ou bien des réponses à nos démarchages, et nous savions qu’il fallait valider les agendas au plus vite. Cela permet de remplir le planning et aussi de faire savoir que le planning se remplit. Les engagements appellent les engagements. Alors dans nos groupes respectifs nous utilisions la formule des musiciens remplaçants.  Je jouais à cette époque principalement en solo, ou alors sous mon nom « KIM » accompagné de musiciens , ou alors comme banjoiste chanteur de Cocktail Bananas. Youssef venait de monter le Royal Woodpecker dans lequel il m’engageait à la batterie et Nicolas, le troisième membre du Royal Woodpecker avait son groupe, Les Wackies. Nous cherchions des engagements partout et étions à nous trois une agence de booking non officielle. Nous pouvions jouer 150 fois par an. Et beaucoup grâce à la technique des remplaçants. Plusieurs musiciens connaissaient nos répertoires, et nous nous remplacions mutuellement. C’est à cette époque que j’ai senti que le nom d’un groupe, projet, ou interprète, pouvait influencer l’écoute de l’auditeur. La musique prend forme grâce aux musiciens qui la jouent, oui. La suite du chemin, cela dit, est fait par l’auditeur, qui décide ou nom de faire marcher son imagination. Si on lui donne quelques outils en plus, il s’invente un décor et peut modifier sa propre perception de la musique, rien qu’avec un costume, un nom, une couleur. Vers 2007 j’essayais donc de me servir d’internet et son anonymat pour créer un de mes premiers avatars. J’avais une réputation de musicien folk, à Bordeaux, de musicien de rue. Dans le reste de la France, on m’associait à la lofi. Une musique peu énergique et peu programmée. Je venais pourtant de sortir des disques rock et au potentiel scénique énergique mais je peinais à trouver des dates pour mon répertoire sous le nom de « KIM ». D’ailleurs coté labels je ne trouvais plus trop non plus de producteurs. J’ouvrais alors une page sur le site de myspace avec comme nom « Don Lee Doo ». Le simple fait de me ré inventer tout neuf me donnait une grande motivation et une grande liberté. C’est cette page qui a attiré des contacts. Je venais de prendre un virage new wave funky et personne n’a su d’où venait cet avatar, « Don Lee Doo ». J’ai contracté de nouveaux contacts tout frais, en labels et en   clubs, ainsi j’ai transformé le répertoire de « Don Lee Doo » en répertoire personnel, j’ai levé le masque et « Don Lee Doo » est devenu un titre pour mon album de 2008. 
En 2009 j’ai eu l’idée d’une chanson pour un avatar qui s’appelait Robot Caca. Le digital battait son plein et je découvrais que j’avais un contrat de producteur digital signé en 2006 plus ou moins par hasard. J’avais le refrain de la chanson, et les accords. Mais je ne savais pas construire le rythme electro, utiliser le vocoder et n’avait pas d’idée de groove. Ni couplet. Mon ami Guillaume Brière m’aida à terminer le titre. Pauline Automatique dessina le robot, Hugo Berrouet fit un clip et je lançais le single sur les plateformes. L’éditeur de Cocoon signa le titre et lança une campagne. Il y’eut un petit buzz internet et je me rendais compte que, flanqué d’un complice capable de créer une image, je pouvais inventer des avatars. J’avais justement dans mes cartons des chansons étranges dont j’imaginais des interprètes fictifs. J’avais une chanson pour un faux Brassens et une autre pour un faux Trust, encore une autre pour un faux Zebda. J’inventais Béton Plastic et Jean Pierre Fromage avec l’aide de Pauline au graphisme. Je jouais le rock garage pour Béton Plastic en chantant avec l’accent parisien, et jouais la chanson sous le nom de Jean Pierre Fromage avec un accent du Tarn. Puis j’ai continué. Je créais ensuite un faux Gainsbourg, un faux groupe de Pop française « Vide Merde » et un groupe electro rock « babanes eud Shkaks ». Au bout d’un moment j’avais quelques personnages et je fabriquais une compilation avec l’aide de Gael Etienne pour le logo. « Craignos, le pire de la scène française » sortait en 2012. Rempli de personnage que j’avais inventés.  La même année je fabriquais un avatar pour mes musiques electro faite à l ´Ipad « Laptop Sisters » et un pour la new age « Calme » en espérant que ces avatars deviennent peut etre de vrais groupes. Rémi Foucard et Valérie Hernandez ont participé à quelques enregistrements de Calme. J’ai continué à inventer des masques. MK Machine Music pour mon masque de musique electro acoustique, car j’avais toujours fantasmé de faire un album dans ce genre là, Romuald Banjo et Ronaldo Banjo pour le bluegrass. Puis j’inventais Les Clopes, avec un accent nantais et une musique pop new wave francophone, Maximum Cagole avec un aspect festif et un accent du Sud, Michel Bonsoir pour un sketch, Christian pour faire une chanson à mon personnage poulet que je dessine dans mes tableaux. En 2013 je sortais donc un volume 2 de Craignos. Il y’en a eu 4 en tout. Quelque personnages n’ont qu’une seule chanson, comme Bobby Labite le pénis chantant, ou Micheline Paclair cette chanteuse pianiste à la diction incompréhensible. En 2016 j’inventais aussi Charles Ezeimer, chanteur tragique. 
Depuis 2012, coté scène, Jean Pierre Fromage a eu de la demande. Ainsi je vais parfois chanter sous son costume, avec la moustache et la perruque. Ce jeu de rôle m’a donné envie d’aller plus loin. Ainsi j’ai monté un groupe en chair et en os, en cuir et en jeans pour Béton Plastic. Nous avons fait 4 concerts environ. Je me suis pris au jeu et vite Jean Pierre Fromage eut un album, Béton Plastic un maxi. La version live des compilations Craignos démarra en 2013 avec le Craignos Cabaret. Mes amis me suivirent dans la fabrication des personnages sceniques de Robot Caca, Gainsbite ou Maximum Cagole. Il y’eut 3 cabarets, dont le dernier eut lieu à Angers. L’exercice vocal de devoir changer d’interprétation m’a beaucoup plu. Aussi en 2018 je décidais que certains personnages Craignos méritaient d’avoir du répertoire en plus. Je préparais un album entier pour Charles Ezeimer, un pour Les Clopes ( avec l’aide de Valerie Hernandez pour deux chansons ), un pour Gainsbite ( avec l’aide de Valérie pour une chanson et d’Olivier Mouchard pour une musique ) et termine en ce moment l’album de Maximum Cagole (avec l’aide de Valérie sur deux titres, Carmen Maria Vega sur un autre et Sapritch pour encore un autre. En 2016 j’ai aussi fabriqué le personnage de Marc Hibo, guitariste de musique nouvelle (j’ai sorti deux albums sous ce nom) et Stan G, saxophoniste hyper débutant et free ( un album ). 
Pour en revenir à Craignos, fabriquer ces masques pastiches me fait beaucoup rire et m’apprend aussi beaucoup. J’ai beaucoup de plaisir à écrire de la gaudriole pour le personnage de Jean Pierre Fromage. Mais c’est tres dur. Alors mes amis ont écrit une moitié de répertoire. Clément Daquin, Mathias Malzieu, Victorine, Baptiste Hamon, Alma Forrer, Guillaume Bouchateau, Pierre Boivent, Abel Cheret, ont écrit avec moi pout Jean Pierre. Pour Les Clopes j’ai tout fait quasiment avec un grand plaisir à manipuler cette matière new wave puis en lui injectant un chant simplet. Pour le live Guillaume Bouchateau, Cléa Vincent, Tim Glass et Jerome Violent endossent des rôles, tout comme moi. D’un point de vue théâtral c’est stimulant. Je me rends compte que chanter de la new wave c’est chanter bas et je réalise des fantasmes cold wave tout en m’amusant. Pareil pour Gainsbite. Grâce à ce personnage j’ai malaxé une matière dandy que je n’aurais pas eu l’occasion de tester. Tout en m’amusant. Pour Charles Ezeimer, et tout en plaisantant, je me frotte à mes fantasmes de chanteurs possédés des années 70. Quant à Maximum Cagole, c’est l’occasion de me frotter au ska festif, à la techno machina, au cloud rap et à la trap tout en rigolant. Les pastiches me font aller plus loin dans la recherche musicale et théâtrale que les masques plus mélomanes. Cela dit dans chaque cas j’apprends et je me débloque des complexes. Pour les pastiches de chez Craignos, il ne s’agit jamais de se moquer. Ni de Gainsbourg ni de Brassens, ni qui que ce soit. Simplement éxagerer leur tics pour prendre possession de leurs points de vue, tout en plaisantant. En me moquant de moi aussi. Car je n’aurai jamais l’audace du dansysme, du réalisme chansonnier, de la pose new wave, du lacher prise festif. Au fur et à mesure j’essai même de tomber le masque, bien que je souhaite rire avant tout. Chaque masque m’aide à débloquer des complexes. Quand j’ai commencé à sortir des disques je sentais que mon identité musicale n’existait pas. Comme c’était la mode des crossover on pouvait passer du rock à la folk au dub sans avoir à changer vingt fois de noms. On m’a mis l’étiquette éclectique. Dans les années 2000, grace au personnage Don Lee Doo, qui devint un titre d’album, je croyais avoir enfin fait la synthèse de chaque détail d’un puzzle musical définissant mon identité. Pourtant en 2010 je n’y croyais plus. A nouveau un spasme m’a pris durant un live. « J’aime me frotter à bien d’autres musiques ». Je suis décidé à me diviser en plusieurs avatars pour de bon, et ça va être le vrai bordel!


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