dimanche, janvier 26, 2014

Un souvenir désagréable

Le 16 octobre 2009,  je crois, en tout cas, fin 2009, il m'est arrivé quelque chose de désagréable dont je n'ai pas parlé à l'époque. Le post de ce jour là stipule "j'en parlerai plus tard". Si je n'en ai pas parlé c'était car l'angle de narration était vraiment difficile à trouver. Comment ne pas passer pour un râleur? Et à quoi bon raconter une tricherie si c'est pour que ça me retombe dessus, que le métier m'accuse d'aigreur quand il s'agit pourtant bien de déception? Mais comment rédiger ce blog avec sincérité si je ne raconte pas cette histoire, qui m'est arrivée fin 2009? Pour éviter des accusations, je vais changer certains noms. 
Reprenons dès le début. Durant l'été 2009, alors que mon nouvel album était prévu de sortir le 28 septembre, j'apprends que le label chez qui j'étais à ce moment là avait reçu une proposition de la part d'une radio nationale pour que je participe à un concours. Ce concours était destiné à des musiciens non signés et je m'étonnais donc qu'on me contacte par le biais même du label chez qui j'étais signé. Pour autant j'apprenais que le concours était le suivant: un tableau web sur lequel les internautes devaient voter. Les trois finalistes partiraient alors pour un live dans une salle parisienne de grand capacité, et le concert serait retransmis sur ladite radio un soir de grande écoute nationale. Et ça ne s'arrêtait pas là: un des trois finalistes se verrait prendre sa musique en synchronisation sur une pub télé d'une marque de cahiers scolaires. Autrement dit un super concert radio diffusé rapportant de la promo, des droits sacem et une possible synchro pub qui ramène encore de la promo et encore des droits sacem. Il se trouve que je me suis rapidement retrouvé premier des votes avec une large avance. Au bout de quelques semaines, je me suis fait dépasser par un groupe d'electro venant du Nord, et un groupe de chanson de Paris. Mais je conservais la place de troisième. Derrière moi, une chanteuse italo anglaise. J'étais donc dans le top 3, j'avais gagné ma place dans la soirée live radio diffusée. Au bout d'un mois pourtant, je ne savais toujours pas si il y'avait un budget. J'avais besoin de savoir cette information puisque je souhaitais engager des musiciens pour m'accompagner. Au fil des semaines, je décidais de jouer seul, par prudence. Mes tourneuses de l'époque ainsi que mon label n'arrivaient pas à avoir d'info technique. Par prudence, le jour du concert je suis allé faire la balance avec peu de matériel. En arrivant à la salle, j'ai d'abord été surpris de ne pas voir mon nom sur l'affiche. Puis j'ai été surpris de voir 6 noms au lieu de trois sur cette même affiche. Et en y pensant bien, j'ai également été surpris de voir que le groupe gagnant été écrit en petit et programmé en fin de soirée après les derniers métros. Pas sympa pour un groupe qui vient du Nord, exprès. Egalement surpris de constater que le groupe de chanson n'est pas sur l'affiche et que l'italo anglaise qui était 4e, donc perdante, est prévue, elle, et annoncée en grand. Et puis qui sont les autres groupes? Aucun de ces noms n'a participé au concours sur internet! Je demande des explications à l'organisateur. Il me répond que je suis prévu dans la partie restaurant de la soirée, me rassurant en m'expliquant que je passerai bien en live à la radio tout de même. Je lui demande pourquoi la chanteuse italo anglaise perdante a le droit de jouer, elle, sur la grande scène. Il me répond que c'est sa maison de disques qui avait fait pression et prévu les billets de train autant que le concert lui même, concours gagné ou pas. Puis il m'explique que le groupe de chanson a annulé et que le groupe d'electro du Nord était encombrant car un car entier de leurs fans comptait venir les voir jouer et à quel point ça allait déranger tout le monde et enlever des places pros. Je lui demande alors qui sont les autres groupes et il me répond que ce sont des gens programmés par les tourneurs partenaires de la soirée. Et pour ce qui est du concours de synchro de la marque de cahier, on verrait plus tard. Déçu de ne pas jouer sur la grande scène, je pars faire ma balance. Le type de la sono me fait comprendre qu'il n' a pas le temps. Je lui explique que je souhaiterais tout de même balancer avant de passer à l'antenne ce à quoi il hausse les épaules m'expliquant que je ne passerai pas à l'antenne. A ce moment là je commençais à déprimer. Ce que j'avais gagné au concours me passait complètement sous le nez. Je souhaitais appeler mon label et mes tourneuses avant de me rendre compte qu'il était 19h un vendredi et que tout le monde était en week end. J'ai alors vu les gens de la profession se rassembler en bas pour voir le concert de cette chanteuse italo anglaise qui avait perdu le concours mais que toutes les maisons de disques regardaient, ébahis, en me demandant " tiens, qu'est ce que tu fais là ? " "et bien je joue ce soir puisque j'ai gagné le concours" " quel concours?". Toute la soirée j'ai vu des groupes monter sur scène sans avoir ne serait ce que participé  au concours web. Puis j'ai croisé des gens qui étaient venus me voir et qui ne me trouvaient pas sur l'affiche. D'autres, plus curieux, avaient réussi à me retrouver et étaient venus me voir jouer dans la partie restaurant du lieu, ou personne de m'écoutait et tout le monde parlait fort. Je savais aussi que mon label avait fait de la pub comme quoi je passais à la radio. Et rien, je ne passais pas. C'était le théâtre absurde de tout un métier vérolé par les renvois d'ascenseur et les partenariats foireux. Le spectacle de musiciens qui ont l'impression de faire partie de quelque chose alors qu'ils disparaitraient le lendemain. Une soirée où il est évident de constater que nous ne décidons de rien, même après des votes. Le métier avait décidé à l'avance des gagnants, sans même se préoccuper de qui jouerait et de qui perdrait. Un mois avant, lors d'une soirée de maison de disques, j'avais ressenti cela sans pouvoir vraiment le prouver. Les producteurs décident de ce qu'ils ont envie d'entendre, en fonction de quelle partie du marché cela peut les rapprocher. Puis ils s'arrangent pour que les musiciens comprennent que cela sera la prochaine tendance, puis ils portent quelqu'un aux nus, et nous imposent ce que l'on doit écouter. J'en ai eu la démonstration. Ce soir là on m'a parlé de cette chanteuse italo anglaise, dont, au passage, j'aimais beaucoup la musique. On m'a dit " elle c est le prochain gros carton mondiale". Plus tôt dans l'après midi elle m'avait raconté qu'elle n'était pas au courant du concours auquel pourtant elle avait participé. Elle n'a pas fait l'ombre d'un tabac les mois suivants, peut être même que son disque n'est jamais sorti. Je n'en sais rien. Quant à la synchro pub promise dans le concours, elle n'a jamais eu lieu pour personne. Ce soir là ma passion a été mise à dur épreuve. J'ai continué ma tournée, je suis allé jouer dans plusieurs pays, et quand tout s'est calmé, j'ai senti, des mois après, que j'étais déçu et qu'il allait être difficile de retrouver la candeur dont j'ai besoin pour faire de la pop. Encore aujourd'hui, cet évènement m'a ouvert les yeux sur quelque chose que je vois désormais de façon plus claire qu'auparavant. Et cette lucidité m'est pour l'instant ingérable. J'ai eu un choc qui a amené à m'en faire vivre d'autres par la suite dans la même grammaire. Je travaille à retrouver du recul depuis.
Ciao

Aucun commentaire: