Il m'aura fallu des années et une observation médiocre pour me rendre compte tardivement d'une curiosité erronée chez mes amis musiciens: Celle d'un émerveillement orienté. J'en suis surpris, naïvement, malgré la grande affection que j'ai pour mes compagnons de musique, ceux même pour qui j'ai une si grande admiration. Car je les admire, oui. La difficulté qu'éprouve un musicien à communiquer avec le mot juste va de paire avec son empathie si particulière. Celle même qui lui permet de trouver le dessin parfait avec des sons résumant d'un coup de musique tout un sentiment que nous serions bien génés de raconter. Ils savent résumer un invariant universel et intime, en même temps qu'ils sont incapables de se souvenir quelles études poursuit votre nièce. Pour autant, c'est l'empathie du musicien que j'admire. Et de ce fait j'ai cru longtemps que le musicien, ou la musicienne, était curieuse et toujours capable d'émerveillements. C'est inexact, j'en suis surpris moi même. Au début de son apprentissage, le musicien est gourmand et souple. Il est prêt à ressentir tout et n'importe quoi lorsque la musique fait son apparition. Il a faim, il se cultive, il a besoin de mots, de couleurs, de sons. Sa palette prête, il s'exerce et finit par se faire entendre. Si tout se passe bien, des auditeurs se reconnaissent dans sa musique. Épanoui, le musicien tente d'enfoncer le clou, de dessiner toujours mieux son propos, ses ressentis. C'est à ce moment là que l'émerveillement se fait la malle. Bien sûr il faut du temps pour s'en rendre compte. Le musicien creuse son sillon et dans un premier temps il construit son chantier avec une sacré réserve émotive. Puis arrive ce moment étrange où il se fait la réflexion de ne plus trouver de musique à écouter. C'est l'acte 2 d'un moment de fermeture. Le musicien se retourne vers ce qui le réconforte: de la musique telle qu'il en a entendue lorsqu'il était, jadis, en jachère. Fatalement, il retrouve ses racines et croise sur sa route, tel un saumon qui remonte une rivière, des comparses partageant à priori ses goûts et ses conforts créatifs. L'acte 3 est encore plus un acte de fermeture: le musicien aime la musique qu'il aurait pu faire. Il devient client d'un soi fictif, projection retadée d'un lui même jouant le même film que lui, des années plus tard. J'ai vu mes amis aimer une musique qu'ils auraient pu jouer. Mon ami claviériste considèrera que les concerts manquent toujours de claviers, quand mes amis rockers ne comprendront pas pourquoi les groupes actuels jouent avec des samplers, tandis que les amis joueurs de musique folk ne souffriront pas la moindre dose d'électricité durant des spectacles. Au fond aucun d'eux ne vient aux concerts débarrasés de leurs égos. Et c'est fort dommage. J'ai mis du temps à m'en rendre compte et accuse dans cette posture que je critique une certaine forme de solitude dans ces phrases égotiques de musiciens appeurés. Une certaine forme de peur de l'exclusion. Avoir 40 ans et garder les oreilles fraîches à l'écoute de nouvelles formes de musiques demande une gymnastique et de l'entraînement. Les annèes passées ne reviendront pas, et si des jeunes musiciens se servent dans le passé pour enrichir leurs discours de clins d'œil ludiques aux musiques passées, ce n'est jamais adressé aux musiciens les plus vieux. Et tant mieux. Il s'agit plutôt d'un espace imaginaire dans lequel ils convoquent leur jeune génération, un forum dans lequel, tel un poste de douane, ils se débarassent des souvenirs encombrants pour mieux les banaliser, pour passer au travers du temps chronologique. Non, les jeunes gens de la pop qui utilisent aujourd'hui des codes renvoyant aux années 1990 ne nous parlent pas à nous, ils ne s'adressent pas à nous, nés dans les années 70. Et ils ont bien raison. Ils s'adressent à leur génération et les questionnent sur un passè commun en vu d'un avenir possible en commun. C'est une invitation. Le meilleur angle pour l'apprécier lorsqu'on est un musicien qui joue depuis plus d'une décennie ou deux, c'est de rester modeste et émerveillé à cet appel là, celui de la génération d'un nouveau son. S'y immiscer ne sert à rien. Écouter suffit, en marge, et ne surtout pas attendre une invitation. Regarder leur panache et peut être douter sur le notre, le remettre en cause. Les musiciens de la vingtaine sont formidables parce qu'ils sont en fusion avec leur époque. Il n'y a pas à se reconnaître ou pas dans leurs actions. Ils sont eux, nous sommes nous, et tout est en place. Comme lorsque nous étions des enfants et que nos idoles étaient de grands adultes. Musiciens de plus de dix ans d'activités, ne jugez pas la jeune génération, ne l'écoutez pas avec vos oreilles, écoutez la avec les leurs, en redevenant des spectateurs modestes qui n'attendent rien. Là, vous serez surpris pour de bonnes raisons, justement parce que ca ne sera pas les votres, pour une fois.
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