vendredi, novembre 12, 2010

LE TEMPS ET LA MUSIQUE:

La musique est une forme d'expression qui dépend beaucoup du temps. De plusieurs façons. La première, et la plus évidente, est celle que nous subissons lorsque nous recevons la musique. En effet, lorsque nous l'entendons, nous devons faire preuve de patience car les informations arrivent au fur et à mesure que le temps découle, contrairement à la peinture ou la sculpture. En revanche, il y' a la même notion de temps dans le cinéma, ou la littérature. Donc, nous recevons la musique en appréhendant ce qui va suivre. En fonction de quoi nous serons surpris ou non, en mal ou en bien, parfois d'une autre manière. Mais le temps agit d'une deuxième manière sur notre rapport à la musique. En effet, la deuxième relation entre le musique et le temps intervient lorsque l'on parle de l'époque ou du moment. La musique doit aussi savoir s'inscrire dans le temps. Une mélodie, une cadence d'accords, ou simplement un timbre peuvent, au moment où la musique est par exemple publiée, s'inscrire ou non dans une époque. Un synthétiseur n'aura pas la même saveur selon si il est proposé dans une musique publiée ou jouée en concert en 1990, 1998, 2000 ou 2007. Selon les attentes d'un public acquit ou non, la réception va en être altérée. Ainsi, il y'a trois ans encore, la réverbération ( effet d'échos pour faire un raccourci à ceux qui connaissent mal la technique sonore ) était bannie des enregistrements car jugée trop marquée par le cachet "années 60". Mais aujourd'hui, bon nombre de groupes actuels ne jurent que par cela. Il suffit d'un meneur, de quelqu'un qui ose briser un ordre établi, puis qu'il attirent les éloges, pour que tout le monde change d'avis. Pour le public, c'est distrayant. Pour les musiciens, c'est une des premières causes d'isolement. C'est la première manifestation désagréable du temps. Lorsque l'on commence à imaginer faire de la musique de façon soutenue un jour, c'est la première angoisse à pointer le bout de son nez: "et si ce que je fais aujourd'hui est un jour daté, ringard, passé de mode?". Ca n'enlève en rien la nature de la partition la sincérité du propos, mais c'est le premier filtre au travers duquel on a peur de ne pas passer. Ajoutez à cela le manque de connaissance du milieu musical et le musicien en herbe à déjà l'impression qu'il est foutu d'avance. Il y'a cinq ans, nombre de groupes débutants d'une moyenne d'âge de 18 ans ont commencé des projets musicaux axés sur le retour du rock. J'ai écouté attentivement leurs questionnements. Tous avaient peur de "louper le coche". Ils savaient tous que cette mode ne durerait pas et sentaient qu'il y'aurait des élus et des exclus. Dans ces formations j'ai croisé des imposteurs et des gens passionnés. Les premiers ont aujourd'hui arrêté la musique ( comme je me doutais ) et les autres sont passés à d'autres projets musicaux, conscient qu'il fallait s'inscrire dans le temps. Leurs entourages sont déçus et les considèrent comme des girouettes, et ils viennent donc de connaitre un premier passage à tabac du temps.
Le troisième ravage se situe dans la nostalgie du public ( que l'on en ait un ou pas ). On peut ressentir dans l'air que les gens qui écoutent de la musique, si ils ont été surpris, veulent ressentir la même surprise, ce qui est impossible. Le public est donc déçu d'avance d'une manière générale et tend à la nostalgie. Un véritable poison pour le musicien. Si les souvenirs et le passé sont un puis d'inspiration, la nostalgie commune peut devenir un fardeau rétrograde. La contourner serait l' ironiser, par exemple. Cette solution peut devenir un recyclage amusant voire poétique, mais au bout d'un moment s'inscrira à nouveau dans l'époque présente, et donc vieillira. Les codes kitchs des années 90, par exemple, ne suscitent plus de rires ni de gènes chez nous. Ils sont devenus inoffensifs donc inutiles. Ce qu'ils renvoyaient aux années 70 ne correspond plus à l'image que nous nous faisons aujourd'hui des années 70, donc le prisme se referme. Cette nostalgie est très difficile à vaincre en musique.
Le quatrième effet pervers du temps, pour un musicien, reste le quotidien. Lorsque l'on passe son temps à jongler avec les trois premières manifestations du temps que je viens d'expliquer plus haut ( la durée d'exécution d'une musique, son contexte dans l'époque, la nostalgie du public ) , on entre comme par magie dans un nouveau monde temporel dans lequel le temps n'a plus aucune légitimité. Des lors, le musicien perd contact avec le fil du temps. Il passe par exemple des mois et des mois sur une chanson qui dure trois minutes. Il la fait écouter à des gens, des partenaires, ou des possibles collaborateurs ( musiciens ou autres ) qui mettront plus ou moins de temps à l'écouter. Pour éviter de s'impatienter, le musicien va écrire une nouvelle chanson, plus rapidement, et la faire écouter aussi. Celle ci dure cinq minutes, et il lui trouve des longueurs. Ses partenaires vont adorer cette dernière et oublier la première, ruinant ainsi par un simple jugement l'idée réconfortante que le musicien s'était faite du temps passé sur ce titre efficace de trois minutes sur lequel il avait passé des mois. Le temps, dans l'esprit du musicien, vient de faire une gymnastique destructrice. Bien sûr, çà n'est pas douloureux tout de suite. C'est au bout de quelques années que les premiers symptômes se font sentir. Car cette gymnastique va continuer à isoler le sujet. Il va par exemple se confronter au "métier". Il va rencontrer des maisons de disques qui lui feront perdre un temps précieux à lui promettre des réponses sur ses attentes. Le musicien va attendre des propositions de concerts, des propositions d'enregistrement, des projets, des rencontres avec des musiciens, ou autres. Il va devoir s'armer de patience, inscrit dans un temps qui n'avance que pour le reste du monde. Imaginez une salle d'attente chez le docteur dans laquelle tout le monde passerait devant vous durant des mois, avec à chaque passage du docteur un petit mot encourageant de ce dernier du genre "çà va être à vous". Le musicien vit çà chaque jour. Vous pourrez dire que je fais des généralités, mais je connais énormément de musiciens et de différents pays, de différents styles musicaux, à différents stades de popularités. Tous ont une chose en commun: l'attente de choses qui n'arrivent pas. Combien d'albums sont sortis avec des années de retard? Combien de concerts n'ont pas pu se faire car les salles et les tourneurs oubliaient des actions à faire alors que le public ET les musiciens désiraient réciproquement ce concert? Je connais des tonnes d'exemples. Les sites communautaires sont en train de faire voler en éclat les intermédiaires lents et décourageants, et si c'est la crise de la musique enregistrée, çà n'est pas la crise de la communication entre musiciens et auditeurs, loin de là, et tant mieux! Tout çà va enfin nous faire gagner du temps.
Ciao.

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